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Lettre ouverte



L’élitisme sur la défensive ?


Tel pourrait être le titre choc pour répondre aux critiques de plusieurs députés sur les commissions délibératives. “Amateurisme”. ”Trop chères”. “Instrumentalisation”. Les commissions délibératives du parlement bruxellois, composées de 15 élus et de 45 citoyens et citoyennes tiré·es au sort, sont vivement critiquées par plusieurs député·es dans un article de la Libre.


En tant que mouvement citoyen œuvrant pour la démocratie participative et ayant soutenu l’initiative de ces commissions délibératives au parlement, nous (Agora.brussels) livrons ici notre analyse, dotée de l’expérience de notre Assemblée Citoyenne Bruxelloise et du fonctionnement du parlement.


Trop cher, par rapport à quoi ?

Ces commissions coûteraient trop cher. Problème de méthode : trop cher pour quoi faire ? Mesdames et messieurs les député·es, “trop cher” dans l’absolu, il nous semble que ça ne veut rien dire. Un prix, ça se calcule sur des objectifs, ou en comparant à d’autres opérateurs qui rendraient le même service. Et bien, là, non. Nous n’avons pas entendu ni de comparaison, ni d’objectifs.


Tentons un instant de parler dans le vide : quand on a 9 ministres de la santé, est-ce que c’est du côté des outils d’amélioration de la démocratie qu’il faut commencer par faire des économies ? Nous, en tout cas, nous avons tendance à penser que quand 1.400.000 personnes n’ont pas choisi de parti aux dernières élections (soit près d’un·e électeur·rice sur 5), dans un pays où c’est obligatoire, et bien, c’est du côté des alternatives démocratiques qu’il faut investir.


Pour donner matière à comparaison - ce à quoi nous n’avons pas eu droit - le budget 2022 pour les salaires du parlement est de plus de 34 millions d’euros. Le coût d’une seule commission délibérative (270 000 euros) correspond à moins d’un pourcent de ce budget. Et, avec un salaire annuel de 130 000 euros brut, un·e député·e (avec ses assistant·es) coûte plus cher qu’une commission délibérative.


L’amateurisme : à priori, les post-it ne rendent pas les idées stupides

Le titre de l’article de la Libre “Oui-Oui fait de la politique” fait référence aux propos d’un député qui cite notamment l’usage de post-it pour décrire “un foutoir sans nom”. Il faut alors peut-être considérer qu’il y a un amateurisme ou un manque d’expérience du côté des élu·es en matière d’intelligence collective. Car l’usage de post-its permet à chacun·e de s’exprimer tout en allant à l’essentiel, ce qui ne va pas de soi quand des ténors d’éloquence sont présents. Bref, ça permet des co-constructions et ça prévient les longues tirades intimidantes d’intellectuels après lesquelles rares sont ceux et celles qui osent encore parler.


Nous avons constaté que certaines démarches pédagogiques, didactiques et ludiques des organisateurs étaient jugées comme infantilisantes par plusieurs élu·es. Même s’il y a eu des maladresses, le principal souci est que certain·es élu·es n’imaginent pas que faire participer toutes les catégories de citoyen·nes, à un exercice d’une telle complexité dans un environnement intimidant, nécessite de le rendre convivial, léger et accessible.


L’asymétrie entre les citoyen·nes et élu·es, une réalité dont il est temps de prendre le pouls.

Faire débattre équitablement citoyen·nes et politicien·nes est un challenge. Cette réalité préexiste à ces commissions. Les commissions tentent, peut-être maladroitement, de la prévenir, de la gérer, de la résoudre, mais on ne peut pas faire le procès de la maladie à l’ambulance ! L’asymétrie est causée par le système représentatif et la complexité inaccessible et illisible du système belge. Les commissions sont un premier pas pour combler un fossé devenu problématique, voire dangereux. Voilà enfin un endroit où l’on peut goûter de la profondeur du gouffre !


L’absentéisme : les commissions délibératives n’en font pas l’exception.

Il y a eu, du côté des élu·es comme des citoyen·nes, des personnes qui ne sont pas venues ou qui ont abandonné en cours de route. C’est un phénomène constaté partout où l’on organise des débats (y compris dans les parlements). Ce n’est donc pas un manque d’organisation que l’on peut imputer aux commissions. En cherchant comment prévenir et limiter ce phénomène, on se heurte au fait que les “disparu·es” n’expliquent pas souvent les raisons de leur départ. Cependant, un constat transversal s’observe : les départs sont plus nombreux parmi les jeunes et les moins diplômé·es. À Agora.brussels, cela nous invite à penser que la politique et la chose publique sont tellement complexes, qu’il n’est pas évident pour des citoyen·nes de se sentir capables ou désireux de contribuer quand elle doit s’inscrire dans un cadre aussi contraignant et laborieux. Là non plus, les commissions et les assemblées ne sont pas en cause, c’est leur défi qui est juste audacieux : rendre le fonctionnement de la Belgique compréhensible sans écœurer les participant·es. !


Ajoutons que pour participer, il faut pouvoir venir quelques samedis. C’est pourquoi Agora.brussels soutient les projets de “congés payés citoyens” mais sera moins indulgent avec les absences du côté des élu·es qui trouvent si souvent le temps de faire campagne les samedis et dimanches. Pour répondre au député Geoffroy Coomans de Brachène : même si le processus n’est pas parfait, avec un salaire de 10 000 euros par mois, c’est presque indécent de se plaindre de perdre ces week-ends face à des citoyen·nes défrayé·es 75 euros la journée.


S’il y a un scandale ici, c’est du côté des élu·es. Il est dommage qu’il ne soit pas obligatoire d’être présent·e. Les commissions délibératives sont une occasion en or pour parler à d’autres personnes que des militants et des partisans, pour rendre accessible une politique réputée illisible et certain·es n’ont même pas essayé ? Malheureusement, ce n’est peut-être pas une surprise qu’un dispositif qui impose au sein même du parlement une nouvelle catégorie de personnes suscite une certaine réserve à gauche comme à droite. A retenir que les commissions délibératives ne sont pas non plus responsables de cette situation.


Les député·es : des participant·es difficilement neutres


Plusieurs biais existent dans l’évaluation et les critiques de ce dispositif par les député·es. Ces critiques sont formulées par des acteur·rices qui pensent peut-être avoir plus à perdre qu’à gagner à ce que de telles commissions deviennent de plus en plus légitimes !


Les élu·es ont ici exprimé leur avis sur un processus qui potentiellement :

  • Questionne leur légitimité

  • Diminue leur pouvoir à travers un partage avec des citoyen·nes “non-professionnel·les de la politique”

  • Forcent les élu·es à être des pédagogues


On constatera aussi que lorsqu’on identifie les auteur·rices des critiques d’un point de vue partisan, les plus lourdes sont issues des partis de l’opposition. Ces critiques semblent donc “colorées” par le bon vieux conflit “majorité / opposition”. Un biais qui n’existerait pas si on questionnait les citoyen·nes ayant participé aux commissions délibératives !


L’instrumentalisation ? Plutôt le rôle des élu·es à éclaircir


Les élu·es participant·es ont pris une grande diversité de postures. Certain·es se sont limité·es à être des conseiller·es avec le défi de rester neutres. Tandis que d’autres y auraient vu l’occasion de promouvoir leurs propositions déjà refusées ou en cours d’adoption au Parlement Bruxellois. Certain·es élu·es ont donc vécu à juste titre comme injuste et inapproprié que d’autres utilisent cet espace politique pour pousser leur agenda.


Pour Agora.brussels, les élu·es présent·es à ces commissions devraient se positionner plus clairement comme expert·es situé·es politiquement. On voit mal comment ils s’empêcheraient d’amener leurs idées et opinions. Ils pourraient ainsi raconter “la cuisine du parlement” : le chemin d’un projet politique, la logique de fidélité aux partis, les rapports majorité/opposition… car en attendant de changer le système, si on veut faire de la participation citoyenne de qualité, il faut communiquer sur comment il fonctionne.


La ré-écriture critiquée : un exercice délicat et important selon Agora.brussels

La restitution des décisions par un travail de ré-écriture est une étape particulièrement sensible tout comme la question du choix des sujets. C’est pourquoi, dans les Assemblées Citoyennes Bruxelloises, nous impliquons les citoyen·nes à la source du processus notamment par le choix du sujet et la nomination dans chaque groupe de travail, d’une personne garante de la fidélité des résultats. Nous appelons à l’indulgence et félicitons les facilitateurs et le personnel du parlement, convaincus qu’ils font de leur mieux et que cette étape est particulièrement compliquée.

Le manque de suivis et de mise en œuvre des recommandations

Autre grande question : Qu’est-ce que les élu·es ont fait des recommandations de ces commissions ? Quasiment pas un mot sur le sujet et Agora.brussels rejoint les critiques faites à ce sujet. On aurait voulu pouvoir en juger… malheureusement aucune information n’a été communiquée sur ce que les élu·es ont fait des centaines de recommandations de ces 5 commissions délibératives. Comment juger du prix et du sens de la démarche sans évaluer ce qui a pu être fait ?


C’est là qu’est concentrée toute notre inquiétude et notre déception : est-on en train d’assister à une décrédibilisation du dispositif avant même d’avoir tenté de mettre en œuvre un peu sérieusement ces recommandations ? Ose-t-on affirmer que cela ne sert à rien alors qu’aucune évaluation n’a été faite sur l’implémentation des résultats par les élu.es ?


Agora.brussels existera jusqu’à ce que ces commissions délibératives - ou d’autres formats tels que les assemblées citoyennes - soient contraignantes et disposent d’un pouvoir complémentaire à celui des élu·es.


Là, et seulement là, on pourra distinguer les véritables défauts d’un nouveau dispositif démocratique du manque de volonté politique. Empêchons le “participationwashing” qui permet aux élu.e.s de faire du “shopping” dans les recommandations citoyennes, notamment en ne sélectionnant que celles qui ont déjà fait l’objet de décisions par ailleurs.


On fait le procès de ces commissions alors que la cause première des difficultés mentionnées est l’état de notre démocratie. Qu’il y ait parfois maladresses et imperfections, des erreurs de débutant.e.s, oui, bien sûr ! Mais quoi de plus normal pour des assemblées débutées l’année dernière.


C’est pourquoi une initiative qui a le potentiel de faire de l’éducation à la citoyenneté comme on n’en n’a jamais fait, qui a le potentiel de déconstruire le populisme et le conspirationnisme ambiant, qui a le potentiel de créer l’ébauche d’un contre-pouvoir à l’élitisme de la classe politique, de produire des décisions politiques ancrées dans la réalité des citoyen·nes mérite un peu plus d’indulgence dans ses débuts.



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